Bon, je l'ai vu aussi, je développe donc la critique commencée ici.
On le sait maintenant, il y a trois genres de Disney "
modernes" (post-Taram).
- Il y a les classiques formatés et patrimoniaux genre
Petite Sirène,
Belle et la bête, ceux qui piochent dans le répertoire des contes immémoriaux de la culture collective et les affadissent en un produit de marketing poisseux de sirop sentimental et niais, surtout pour filles.
- Ensuite il y a les films qui adaptent ou usent une licence plus moderne,
Ile au Trésor, Atlantide, Tarzan, plus orientés action plus "garçon" mais tout autant confit de sentiments positifs et de valeurs judeo-chrétiennes.
- Et il y a les films plus audacieux, essayant de créer des univers plus innovants ou originaux (toutes proportions gardées bien sur) comme
Lilo et Stitch, Kuzko, La ferme se rebelle ou
Chicken Little.
La princesse et la grenouille est clairement dans la première catégorie. D'ailleurs il est réalisé par le célèbre duo
Ron Clements et
John Musker à qui on doit notamment
La petite sirène, Aladdin ou
Hercule, on ne change pas une équipe qui gagne.
En fait c'est ce qui m'a frappé en voyant La princesse et la grenouille : hormis le contexte, on peut quasiment calquer la construction du film, la manière dont les scènes s'agencent, dont les personnages interagissent, dont les seconds-rôles fonctionnent... sur n'importe lequel des films de cette catégorie. Bon, vous allez me dire que c'est un peu naïf de s'en rendre compte maintenant, les studios Disney font du formatage, la belle affaire... mais j'ai été spécialement frappé cette fois ci et surtout que ce que le contexte aurait pu apporter d'originalité et de singularité a été soigneusement gommé et évincé.

Je raconte un peu pour ceux qui voudraient ne pas le voir.
A la nouvelle Orléans au début du XXe siècle, deux jeunes filles sont plus ou moins élevées ensemble, un peu comme
Azur et Asmar : la petite blanche,
Charlotte, fille d'un richissime bonhomme, et la petite noire,
Tiana, fille de la couturière de la maison qui raconte aux fillettes des histoires de princesses. Si la jeune riche habite un somptueux palais, la jeune noire retourne avec sa maman le soir dans une petite mais respectable maison d'un quartier populaire (je reviendrais sur la dimension raciale). Le papa de Tiana est un courageux ouvrier qui rêve d'ouvrir un restaurant à lui.
On retrouve les gamines jeunes femmes, on comprend en voyant une photo que le papa est mort à la guerre (à priori la première), Tiana a récupéré son rêve et se tue à la tache (serveuse de jour comme de nuit mais à priori aussi cuisinière vu qu'elle fait des beignets somptueux) pour économiser de quoi ouvrir ce satané restaurant.
Un prince exotique ruiné débarque dans la ville pour essayer de contracter un mariage favorable avec la blonde du début. Son attention est captivée par un mage vaudou, le
Dr Facilier, prince des ombres. Celui-ci veut contrôler le père de Charlotte pour s'approprier sa fortune et son influence sur la ville. Il va transformer le prince en grenouille et son serviteur vénal dont il fait son complice en prince pour berner Charlotte et l'épouser.
Mais la grenouille-prince s'évade, il tombe sur Tiana et la persuade de l'embrasser. Malheureusement elle se transforme aussi et voila les deux grenouilles perdues dans le Bayou, à la recherche d'une mamy Vaudou pour les retransformer avant minuit et la fin du Mardi gras. Ils croiseront un alligator trompettiste obèse qui s'appelle Louis et une luciole péquenot édenté qui s'appelle Ray qui vont les aider.

Bon, je vous laisse imaginer les aventures drôles-émouvantes-romantiques que vont traverser les deux grenouilles, bien sur ça finit bien, une fois que les grenouilles auront accepté leur amour et leur condition de batracien, renoncé à leurs ambitions et à la vanité de l'existence, pour se marier, se retransformer en humain et ouvrir ce **tain de restaurant.
Donc l'histoire est assez simple, on retrouve les ingrédients qui font le fond de commerce du studio, la transformation, l'usurpation d'identité, la magie, le délai, le personnage vaniteux qui va apprendre la modestie, les animaux qui parlent... la liste est longue.

Alors qu'est-ce qui m'a déplu là dedans, à part l'histoire s'entend ?
Bin déjà je trouve que le contexte - le sud des Etats unis du début de siècle dernier - est très insipide, très politiquement correct et pour tout dire presque révisionniste. Certes l'héroïne est noire, ce qui ne manquera pas de faire les gorges chaudes des médias qui y trouveront un écho pourtant déplacé à l'investiture d'
Obama, certes le quartier de la jeune Tiana n'est rien d'autre qu'un ghetto où n'habitent que des noirs, certes un banquier dit à Tiana qu'il ne pourra pas faire confiance à une fille "comme elle", mais la dimension ségrégationniste du Sud est aseptisée, sa violence est gentiment gommée et présentée comme un détail tout juste perceptible. Plus subtil, le prince est noir également (enfin disons qu'il a la même couleur de peau que Tiana) mais son valet, pale copie de celui des
Aristochats, est clairement blanc. Comme c'est un méchant j'imagine qu'il aurait été incongru de le faire noir ce qui aurait été plus logique.
La sous-exploitation du contexte est aussi dans la musique et le style, les séquences un peu différentes (rêves de Tiana, enchantements vaudou) n'exploitent que timidement un style plus outré, plus marqué. Résultat c'est mou et formaté comme le reste.
Je m'étais dit aussi, chouette, enfin un truc jazzy, je m'attendais à du
new-orlean's, que ça bouge, que ça balance, ou de l'émotion genre
Gershwin, ... Mais on reste sur de la lavasse FM, espèce de funky vaguement soul interprété par les braillardes de service. A part une chanson interprétée par Liane Foly et sa voix un peu blues, le reste est si insipide qu'il ne m'en reste rien. La chanson du crabe dans
la petite sirène ou des singes dans
le Livre de la Jungle étaient plus jazzy, ce qui est tout de même un comble vu l'autoroute qui était tracée ici...
J'ai trouvé aussi que les personnages manquaient singulièrement de charisme, le prince est un artiste vaniteux et sexiste qui gratte un Ukulele, Tiana une bête de somme uniquement préoccupée par sa cuisine, même les faire-valoirs n'ont pas su me tirer des élans de sympathie. Les crocos de
Bernard et Bianca étaient mieux torchés et la luciole est vraiment trop plouc.

Enfin il reste toujours le petit coté cul-benni bien niais : à chaque fois que les personnages sont dans une situation critique ou dramatique ils lèvent les yeux au ciel, serrent les mains sur le cœur et prient la petite étoile dans le ciel. C'est grotesque.
Alors on peut dire comme mon épouse que c'est un spectacle grand public, pour jeunes filles de 8 ans, et excuser tous ces travers, mais je n'y parviens pas et je trouve qu'
Azur et Asmar avait réussi plus subtilement sans pour autant gommer les aspects culturels des univers invoqués.
Bon, bien sur il y a des réussites dans la princesse et la grenouille ; Charlotte, la blonde exubérante et dynamique, sortie tout droit de
Victor-Victoria, est très marrante, le Vaudou et son ombre indépendante est aussi une belle idée mais finalement sous-exploitée.
Et l'ensemble, avec ses décors d'un classicisme pompier, ses animations virtuoses mais sans magie, ses personnages aseptisés, l'histoire interchangeable, font un énième Disney, qui aurait pu sortir en 2000, en 1995 ou en 2020 sans qu'on n'y trouve à redire.
C'est vrai qu'avec
Lasseter à la direction de Disney, je m'attendais à beaucoup mieux que ça.
Avec la polémique de
Song of the South, Disney avait de quoi se racheter une conduite, occasion ratée...
+
cé