
Lettre ouverte aux journalistes, aux ignorants et aux journalistes-ignorants
ce qui n'est pas forcément un pléonasme même si des fois oui
J'ai toujours été fasciné par le dessin et ses exceptionnelles capacités expressives, il suffit de connaître Schiele, Steinberg, Rembrandt tous les peintres, les artistes, les graveurs et leurs productions si variées.
J'ai aussi toujours lu avec un énorme plaisir et reconnu l'incroyable potentiel de la littérature, ouvrant avec très peu de moyens (des caractères et du papier) des univers extraordinaires, des sensations, des imaginaires, des témoignages.
Mais bizarrement quand les deux s'associent, dessin et littérature, c'est comme si leur potentiel créatif s'annulait, comme si le mutant abâtardi issu de leur union avait perdu dans l'accouplement le patrimoine génétique de ses géniaux parents. Un peu, encore, comme ces alliages aux caractéristiques chimiques et mécaniques si différents des métaux à partir desquels ils sont créés. C'est ainsi que l'illustration, le comic-strip, la bande dessinée, le manga, même ce que certains ont essayé d'appeler Roman graphique pour le sortir de l'opprobre du rayon "bédé" (comme bébé) deviennent des amusements peu crédibles, des « illustrés pour la jeunesse ».
Quand il parvient à exister dans le monde adulte, le dessin n'est là que pour ajouter une dimension satirique (caricature, dessin de presse), didactique (ça vaut mieux qu'un long discours, dit-on), signalétique, éventuellement illustratrice (qui occupe un espace vide, enjolive une surface imprimée ou accompagne un texte), testimoniale (dessins de tribunaux où la photo est interdite) ou encore le dessin "déviant" ; érotique, pornographique, sadique, expression de fantasmes sexuels dédié à un public "averti" (clin d'œil) permettant d'incarner des perversions sans la crudité de la photographie mais plus efficacement que le texte. Mais dans les supports "pour adultes", le dessin est rarement indispensable. Si on l'enlevait, il n'y aurait pas de remise en cause de l'intégrité du message.
En cinéma on a exactement le même phénomène, la même ségrégation. Pour beaucoup le cinéma d'animation n'est pas un cinéma sérieux, n'est pas un cinéma « de grands ».
Beaucoup de critiques et de journalistes semblent redécouvrir le dessin animé à chaque fois qu'il y en a un qui sort, comme ce fut le cas pour la sortie de Persépolis (2007, de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud) par exemple ou de Valse avec Bashir (2008 de Ari Folman).
Souvent catalogué comme un genre, on découvre que finalement un dessin animé peut aussi être dramatique, satirique, comique, voir documentaire et ne se résume pas toujours aux histoires pour enfants.
Or, longtemps, le cinéma d'animation n'a pas connu cette ségrégation enfant/adultes. Les premiers films d'animation de l'histoire, ceux de Quirino Cristiani, italien émigré en Argentine, étaient des films satiriques et politiques (El Apostol, 1917). S'il n'en existe plus aucune copie, ils nous rappellent que c'est le dessin qui a fait émerger le cinéma et tout ce qu'on considère comme ayant précédé son invention, lanterne magique, phénakistiscopes, praxinoscopes (Reynaud, Plateau...).
Die Abenteuer des Prinzen Achmed de Lotte Reiniger (1926), premier long métrage encore visible, est une libre adaptation des contes des mille et une nuits. Même si l'action est édulcorée, l'œuvre est adapté d'un classique de la littérature internationale. Le premier feature film Disney, long métrage évènement, Snow White and the seven Dwarfs (1937) adapte un conte européen formalisé par les frères Grimm. Spectacle familial, il aura un succès international qui assurera la célébrité de son auteur et son fond de commerce pour les années à venir. Mais il est loin d'être réservé aux enfants, de fait on se rend compte que dans le contexte délicat de l'avant guerre il influencera de grandes familles de cinéastes et d'artistes de par le monde. D'ailleurs si on le replace dans le contexte cinématographique de l'époque, à part des productions marginales et/ou porno, il y avait peu de films qui ne put être vu par toute la famille. D'ailleurs les dessins animés, les cartoons qui ont aussi fondé des empires et une sorte de mythologie du dessin animé (MGM, WB...) n'étaient pas destinés aux seuls enfants ; diffusés avant les films dans les cinémas, ils sont des spectacles parfois violents, très rythmés, comiques, comme les slapsticks ces petites bobines populaires du début du XXe.
Or donc où se fait le passage ? Quand le dessin animé cesse-t-il d'être considéré par les adultes ?
Je dirais innocemment et plutôt intuitivement à l'apparition de la télé. On ne se déplace plus en famille pour aller voir un spectacle, on importe dans le foyer une source de programmes qui va permettre de parler spécifiquement à une audience en fonction de son horaire de diffusion (cuisine le matin, programmes pour enfant en fin d'après midi, thèmes plus adultes le soir) ou en fonction des chaînes avec le rapide développement du câble et des chaînes thématiques. La multiplication de l'offre entraîne aussi probablement une radicalisation des thèmes et le début de la surenchère dont on voit encore les effets à l'heure actuelle (plus d'action, plus de violence, plus d'effets spéciaux...) comme à une époque le Cinemascope et la recherche de sensations nouvelles fut une réaction de l'industrie du cinéma pour récupérer le public prisonnier de la télévision. De fait c'est seulement à partir du milieu des années 60 qu'on commence à classifier les films, à les organiser pour les conseiller à certains publics.
On assiste à une évolution de la maturité des thèmes et à une raréfaction du spectacle cinématographique grand public consensuel. C'est donc à ce moment que le dessin animé va réintégrer le ghetto infantile où le dessin est parqué.
Mais pourquoi dénie-t-on au cinéma d'animation le droit de s'adresser aux adultes ? Serait-ce à cause de ses rapports au réel ? Un dessin animé ne capture pas le réel, le dessin enlève, il enlève les détails, le piqué, les accidents de tournage, l'improvisation, le hasard. Le dessin animé est une image fabriquée, il permet à ses auteurs de maîtriser le contenu, le dessin ajoute, il donne la précision, le choix, il est capable de retranscrire des imaginaires infinis, fantastique, abstraits. Et l'imaginaire serait interdit aux adultes qui ne consomment que du plausible, même quand il s'agit de films d'horreur.
Mais plus aucun film actuel n'est encore une captation du réel, toutes les images sont numérisées, retravaillées, compositée, hybride... Ça reste « juste une image » et de moins en moins « une image juste ».
Donc c'est aussi probablement le résultat d'un conditionnement culturel et c'est vrai qu'on le sait, en France le dessin est banni des écoles. On l'encourage en primaire et on cesse totalement de le considérer après le collège alors qu'on encourage l'enseignement des sciences (physique ou mathématique) même dans les filières artistiques jusqu'à un haut niveau.
Quoi d'étonnant finalement que le dessin soit si déconsidéré et avec lui toutes ses manifestations, si on ne le prend pas au sérieux dans ses capacités au développement psychologique d'un individu. Certes on ne peux plus réellement parler de dessins animés avec les films d'animation modernes, générés par infographie 3D, mais on peut encore parler, excusez le barbarisme, de design-animé, créations de designers graphiques, d'animateurs, qui ont majoritairement des formations artistiques et dont une grande partie du travail relève du dessin, même assisté.
Restreindre le dessin au domaine de l'enfance c'est balayer d'un revers de manche plusieurs millénaires d'histoire de l'art.
C'est une attitude crétine qui revient quasiment à interdire l'Art aux plus de douze ans...
Je propose par conséquent de militer pour :
La reconnaissance des films d'animation comme des films de cinéma, utilisant des techniques d'animation mais n'induisant pas forcément un thème ni un public.
La suppression de la catégorie "animation" dans les catalogues de vente en ligne, dans les annuaires et les programmes de cinéma et le reclassement des films d'animation par rapport à leurs thèmes, voir éventuellement à leur public (il y a effectivement des films d'animation pour enfant, comme il y a des films en prise de vue réelle pour enfants...).
Enfin, pour la culture de tous les journalistes et pour leur prouver que les dessins animés pour adultes ne datent pas d'hier, je propose de lister ici les films d'animation "adultes" qui ont pu sortir ces trente dernières années. Le choix est assez subjectif et je propose de ne lister que les films effectivement sortis au cinéma...
Yellow submarine de George Dunning, 1968
Fritz the cat, Ralph Bakshi, 1972
Tarzoon, la honte de la jungle de Picha, 1975
Le Chaînon manquant de Picha, 1979
Pink Floyd The wall, Alan PArker, 1982
Akira de Katsuhiro Otomo, 1988
The Tune de Bill Plympton (1992)
Mutant Aliens de Bill Plympton en 2001
Corto Maltese, la cour secrète des arcanes de Pascal Morelli - 2002
Tokyo Godfathers de Satoshi Kon, 2003
Les Triplettes de Belleville de Sylvain Chomet 2003
Princess de Anders Morgenthaler, 2006
Paprika de Satoshi Kon, 2006
Renaissance de Christian Volckman - 2006
A Scanner Darkly de Richard Linklater (2006)
Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud - 2007
Valse avec Bashir, de Ari Folman, 2008
Peurs du noir, 2008
Vous pourrez trouver une liste des longs métrage d'animation sur le site Wikipedia, cliquez à gauche dans la marge pour avoir l'équivalent français.
Vous pouvez compléter la liste bien sur...