Bon, ça va être un peu long, parce que je ne veux surtout pas donner l'impression d'émettre des réserves pour le simple plaisir de le faire, mais bien dans l'espoir qu'elles sont constructives et que peut-être tu y trouves matière à ce que ton prochain film soit encore meilleur.
(mode critique cinématographique puant à la noix "on")
Je n'ai aucun reproche à faire ni à la technique ni à l'animation ni au graphisme, ils sont tous très réussis. J'avais quelques doutes sur les décors initialement, à cause de certaines photos d'écran qui me faisait un peu penser à de Crecy et aux Triplettes, mais ce doute s'évapore devant le film, car la parenté, s'il y en a, n'est que très lointaine.
L'animation du personnage est très chouette, même si je pense qu'il y avait peut-être plus à faire avec lui, poussant encore plus loin la mobilité de son visage qui vous laissait beaucoup de libertés. Mais je reviendrai à cet aspect des choses plus loin.
J'ai beaucoup apprécié les déplacements de caméra très lents avec un léger effet de multi-plans, qui remplace à plusieurs endroits un plan fixe, car ils donnent une légère impression d'inquiétude, un léger malaise. En général, j'apprécie beaucoup la réalisation, dont le type cinématographique correspond bien à mes goûts.
Mon principal souci, en fait, est qu'on ne sait pas trop où le film veut nous mener. J'ai été très porté sur le film symbolique à une époque (genre the Falls de Greenaway ou les films de Tarkovski) mais j'en suis un peu revenu avec l'âge (mode vieux con on) et j'avoue avoir besoin qu'un film me transporte d'un point vers un autre, me montre un personnage qui évolue d'un état à un autre, qu'il subisse une épreuve qui le fait revoir certaines choses. Un film est plus touchant, je pense, si on parvient à s'impliquer émotionnellement dans ses personnages.
C'est cela qui me manque dans Chahut. Il manque, au moins partiellement, à mon sens, les états émotionnels par lequel peut passer quelqu'un qui se retrouve de manière inexplicable tout seul. J'aurais aimé le voir inquiet, puis paniqué, puis interloqué, puis effrayé. Une progression émotionnelle qui aurait rendu plus forte et plus palpable sa joie et sa satisfaction de trouver l'eau et la musique.
C'est un peu là que je reviens à ma remarque sur l'utilisation du personnage. Avec ce bon gros visage tout mou, il avait de quoi trouver des myriades d'émotions, expressions outrées, qui sont l'apanage des clowns. Pourtant, il garde en général une bonhomie tranquille, soit satisfaite, soit vaguement inquiète. Je pense que vous avez fais preuve de trop de pudeur ici.
Je pense aussi que vous ne vous êtes pas rendu service en ne faisant qu'un personnage.
Je m'explique : je suis de plus en plus convaincu que ce que l'on apprécie au cinéma, ce n'est pas tant un personnage qu'une interaction entre deux ou plus. On s'identifie surtout aux comportements que l'on a les uns avec les autres. Un deuxième personnage, dont vous auriez pu décrire l'interaction avec le clown, aurait apporté, j'en suis sur, beaucoup au niveau émotionnel. Vous avez pris un parti très difficile.
Toutes ces remarques n'ont pas grand chose à voir avec l'exécution mais avec la conception, je pense. Aviez-vous une idée claire, par exemple, de ce que vous vouliez susciter chez les spectateurs?
Je sais qu'en ce qui concerne Novecento, deux mois avant de rendre le film, on ne savait pas encore bien ce que l'on voulait faire passer dans ce film (Sarah va surement me contredire, ici, mais je revendique dans tout ce message ma subjectivité). Au point que la fin ne s'est dessinée que sur le tard.
Je ne serais donc pas surpris si tu m'apprenais que l'idée n'est pas très claire chez vous non plus. C'est en tout cas le sentiment que j'ai à la vision de votre film.
(mode critique cinématographique puant à la noix "off")
Bon, je ne sais pas si je suis arrivé à faire passer mes sentiments sans être pédant ou autre. J'espère juste avoir donné un point de vue qui peut vous intéresser et vous faire progresser (ou régresser selon le point de vue).
Richard